Conseil d'État
N° 468365
ECLI:FR:CEORD:2022:468365.20221115
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SARL LE PRADO - GILBERT ; SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL, avocats
Lecture du mardi 15 novembre 2022
Vu la procédure suivante :
Mme C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, en deuxième lieu, de suspendre l'exécution de la décision de fin de prise en charge et de refus de renouvellement de son contrat jeune majeur prise par le conseil départemental de l'Essonne le 7 septembre 2022, en troisième lieu, d'enjoindre au conseil départemental de l'Essonne de procéder au réexamen de sa demande de renouvellement de contrat jeune majeur dans un délai de 5 jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et, en dernier lieu, d'enjoindre au conseil départemental de l'Essonne de lui assurer une solution d'hébergement et une prise en charge adaptée à son état de santé dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2207415 du 6 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et rejeté le surplus de ses conclusions.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 octobre et 3 novembre 2022, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler l'ordonnance attaquée ;
3°) de suspendre l'exécution de la décision de fin de prise en charge et de refus de renouvellement de contrat " jeune majeur " prise par le conseil départemental de l'Essonne le 7 septembre 2022 ;
4°) d'enjoindre au conseil départemental de l'Essonne de procéder au réexamen de sa demande de renouvellement de contrat " jeune majeur " dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la décision à venir, et assortir cette injonction d'une astreinte de 200 euros par jour de retard ;
5°) d'enjoindre au conseil départemental de l'Essonne de lui assurer une solution d'hébergement et une prise en charge adaptée à son état de santé, de ses besoins alimentaires, sanitaires, médicaux, et éducatifs, notamment en introduisant une demande de prestation auprès de la maison départementale des personnes handicapées, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à venir, et assortir cette injonction d'une astreinte de 200 euros par jour de retard ;
6°) mettre à la charge du conseil départemental de l'Essonne la somme de 3 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
7°) mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles est entachée d'insuffisance de motivation dès lors qu'elle ne prend pas en considération certains éléments qui étaient soumis au juge des référés ;
- la procédure devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles est entachée d'irrégularité dès lors que le conseil départemental n'a pas transmis, en entier, son dossier d'assistance éducative ;
- la condition d'urgence est satisfaite, d'une part, dès lors qu'elle est dépourvue d'hébergement et de ressources financières et, d'autre part, eu égard à son état de santé, ses troubles psychiques et physiques ainsi que sa grossesse ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;
- la décision contestée méconnaît son droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants et au droit au respect de sa vie privée dès lors qu'elle la prive d'un hébergement, de ressources et d'un suivi socio- médical nécessaire eu égard à sa situation ;
- la fin de sa prise en charge constitue une carence de la part des services de l'aide sociale à l'enfance qui devaient, conformément à l'article L. 222-5-1 du code de l'action sociale et des familles (A...), assurer son accompagnement vers l'autonomie ;
- la décision contestée méconnaît son droit à la poursuite de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, garanti par les articles L. 221-1 et L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 et 3 novembre 2022, le conseil départemental de l'Essonne conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme B..., et d'autre part, le conseil départemental de l'Essonne ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 4 novembre 2022, à 10 heures 30 :
- Me Pinatel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;
- Me Gilbert, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du conseil département de l'Essonne ;
- la représentante de Mme B... ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction, puis a rouvert l'instruction le 7 novembre 2022 à 9h40 et convoqué à une nouvelle audience publique, d'une part, Mme B..., et d'autre part, le conseil départemental de l'Essonne ;
Vu les deux nouveaux mémoires, enregistrés les 5 et 10 novembre 2022, par lesquels Mme B... maintient ses conclusions et ses moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 9 novembre 2022, par lequel le département de l'Essonne maintient ses conclusions et ses moyens ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 novembre 2022, à 15 heures :
- Me Pinatel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;
- Me Gilbert, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du conseil département de l'Essonne ;
- la représentante de Mme B... ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction que Mme B..., ressortissante ivoirienne née le 12 août 2003, entrée en France en 2016, a été confiée par le Procureur de la République le 28 janvier 2019 au service de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Essonne. Elle a bénéficié de la part de ce dernier, à sa majorité, d'un contrat jeune majeur jusqu'au 12 août 2022. Toutefois, par une décision du 7 septembre 2022, le département a refusé de renouveler cette prise en charge. Mme B... relève appel de l'ordonnance du 6 octobre 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande, présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à ce que l'exécution de cette décision soit suspendue et à ce qu'il soit enjoint au département de réexaminer sa demande de renouvellement de contrat de jeune majeur et de lui assurer une solution d'hébergement et une prise en charge adaptée à son état de santé dans un délai de 24 heures, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
3. Aux termes de l'article L. 222-5 code de l'action sociale et des familles : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) 5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants, lorsqu'ils ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance avant leur majorité, y compris lorsqu'ils ne bénéficient plus d'aucune prise en charge par l'aide sociale à l'enfance au moment de la décision mentionnée au premier alinéa du présent article./ Peuvent être également pris en charge à titre temporaire, par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance, les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants./Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés au 5° et à l'avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée ".
Sur l'urgence :
4. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre.
5. Il résulte de l'instruction que Mme B..., aujourd'hui âgée de 19 ans, suivie au centre médico-psychologique de Thiais et enceinte de cinq mois, est dépourvue de soutiens familiaux en France, sans ressources, actuellement sans domicile fixe et logée de manière ponctuelle et précaire à l'hôtel par les services du service intégré de l'accueil et de l'orientation du Val de Marne. Dans ces conditions, au regard de l'extrême vulnérabilité de Mme B..., et alors même que le département fait valoir que la Fondation Rotschild à Chevilly-Larue où elle était hébergée a déclaré ne plus pouvoir la prendre en charge en raison de son comportement et du caractère inadapté de cet hébergement à sa personnalité et qu'elle aurait refusé une proposition d'accueil dans une maison d'accueil prénatal, la condition d'urgence doit, en l'état de l'instruction, être regardée comme remplie.
Sur l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
6. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles que, depuis l'entrée en vigueur du I de l'article 10 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants dont elles sont issues, les jeunes majeurs de moins de vingt et un an ayant été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un département avant leur majorité bénéficient d'un droit à une nouvelle prise en charge à titre temporaire par ce service, lorsqu'ils ne disposent pas de ressources ou d'un soutien familial suffisant. Le département de l'Essonne qui, ainsi qu'il a été dit, a pris en charge Mme B... au titre de l'aide sociale à l'enfance jusqu'à sa majorité, est, dès lors qu'il est constant qu'elle ne bénéficie d'aucun soutien familial ni d'aucune ressource ni d'aucune solution d'hébergement présentant le minimum de stabilité que nécessite son état de grossesse, légalement tenu de poursuivre cette prise en charge. Si le département fait valoir que les services du département du Val de Marne seraient disposés à prendre en charge Mme B..., il n'établit pas, à la date de la présente ordonnance, que ceux-ci auraient proposé à Mme B... une prise en charge effective. Par suite, Mme B... est fondée à soutenir que la décision du département de l'Essonne de cesser sa prise en charge au titre des dispositions du 5° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles porte, en l'état de l'instruction, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et qu'il y a lieu d'en suspendre l'exécution.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. Il y a lieu d'enjoindre au département de l'Essonne de procéder au réexamen de la demande de renouvellement du contrat de jeune majeur de Mme B... dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance et de lui procurer, dans un délai de 48 heures, une solution d'hébergement et une prise en charge de ses besoins alimentaires, sanitaires et médicaux, sauf à ce que cette prise en charge soit effectivement assurée par le département du Val-de-Marne. La présente ordonnance n'implique pas, en revanche, qu'il soit enjoint au département d'introduire une demande de prestation auprès de la maison départementale des personnes handicapées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. D'une part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de l'Essonne, au titre de l'instance d'appel, le versement à Mme B... d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. D'autre part, Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire devant le tribunal administratif. Par suite, son avocate peut se prévaloir des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Singh, avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge du département de l'Essonne une somme de 1 500 euros à verser à Me Singh au titre de la procédure devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles du 6 octobre 2022 est annulée.
Article 2 : L'exécution de la décision du président du conseil départemental de l'Essonne du 7 septembre 2022 est suspendue.
Article 3 : Il est enjoint au département de l'Essonne de procéder au réexamen de la demande de renouvellement du contrat de jeune majeur de Mme B... dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance et de lui procurer, dans un délai de 48 heures, une solution d'hébergement et une prise en charge de ses besoins alimentaires, sanitaires et médicaux, sauf à ce que cette prise en charge soit effectivement assurée par le département du Val-de-Marne.
Article 4 : Le département versera une somme de 1 500 euros à Mme B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 1 500 euros à Me Singh, en application des mêmes dispositions et de celles du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la demande de Mme B... est rejeté.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C... B... et au conseil départemental de l'Essonne.
Fait à Paris, le 15 novembre 2022
Signé : Gilles Pellissier
N° 468365
ECLI:FR:CEORD:2022:468365.20221115
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SARL LE PRADO - GILBERT ; SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL, avocats
Lecture du mardi 15 novembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mme C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, en deuxième lieu, de suspendre l'exécution de la décision de fin de prise en charge et de refus de renouvellement de son contrat jeune majeur prise par le conseil départemental de l'Essonne le 7 septembre 2022, en troisième lieu, d'enjoindre au conseil départemental de l'Essonne de procéder au réexamen de sa demande de renouvellement de contrat jeune majeur dans un délai de 5 jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et, en dernier lieu, d'enjoindre au conseil départemental de l'Essonne de lui assurer une solution d'hébergement et une prise en charge adaptée à son état de santé dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2207415 du 6 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et rejeté le surplus de ses conclusions.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 octobre et 3 novembre 2022, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler l'ordonnance attaquée ;
3°) de suspendre l'exécution de la décision de fin de prise en charge et de refus de renouvellement de contrat " jeune majeur " prise par le conseil départemental de l'Essonne le 7 septembre 2022 ;
4°) d'enjoindre au conseil départemental de l'Essonne de procéder au réexamen de sa demande de renouvellement de contrat " jeune majeur " dans un délai de cinq jours à compter de la notification de la décision à venir, et assortir cette injonction d'une astreinte de 200 euros par jour de retard ;
5°) d'enjoindre au conseil départemental de l'Essonne de lui assurer une solution d'hébergement et une prise en charge adaptée à son état de santé, de ses besoins alimentaires, sanitaires, médicaux, et éducatifs, notamment en introduisant une demande de prestation auprès de la maison départementale des personnes handicapées, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à venir, et assortir cette injonction d'une astreinte de 200 euros par jour de retard ;
6°) mettre à la charge du conseil départemental de l'Essonne la somme de 3 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
7°) mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles est entachée d'insuffisance de motivation dès lors qu'elle ne prend pas en considération certains éléments qui étaient soumis au juge des référés ;
- la procédure devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles est entachée d'irrégularité dès lors que le conseil départemental n'a pas transmis, en entier, son dossier d'assistance éducative ;
- la condition d'urgence est satisfaite, d'une part, dès lors qu'elle est dépourvue d'hébergement et de ressources financières et, d'autre part, eu égard à son état de santé, ses troubles psychiques et physiques ainsi que sa grossesse ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;
- la décision contestée méconnaît son droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants et au droit au respect de sa vie privée dès lors qu'elle la prive d'un hébergement, de ressources et d'un suivi socio- médical nécessaire eu égard à sa situation ;
- la fin de sa prise en charge constitue une carence de la part des services de l'aide sociale à l'enfance qui devaient, conformément à l'article L. 222-5-1 du code de l'action sociale et des familles (A...), assurer son accompagnement vers l'autonomie ;
- la décision contestée méconnaît son droit à la poursuite de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, garanti par les articles L. 221-1 et L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 et 3 novembre 2022, le conseil départemental de l'Essonne conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme B..., et d'autre part, le conseil départemental de l'Essonne ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 4 novembre 2022, à 10 heures 30 :
- Me Pinatel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;
- Me Gilbert, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du conseil département de l'Essonne ;
- la représentante de Mme B... ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction, puis a rouvert l'instruction le 7 novembre 2022 à 9h40 et convoqué à une nouvelle audience publique, d'une part, Mme B..., et d'autre part, le conseil départemental de l'Essonne ;
Vu les deux nouveaux mémoires, enregistrés les 5 et 10 novembre 2022, par lesquels Mme B... maintient ses conclusions et ses moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 9 novembre 2022, par lequel le département de l'Essonne maintient ses conclusions et ses moyens ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 novembre 2022, à 15 heures :
- Me Pinatel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;
- Me Gilbert, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du conseil département de l'Essonne ;
- la représentante de Mme B... ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction que Mme B..., ressortissante ivoirienne née le 12 août 2003, entrée en France en 2016, a été confiée par le Procureur de la République le 28 janvier 2019 au service de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Essonne. Elle a bénéficié de la part de ce dernier, à sa majorité, d'un contrat jeune majeur jusqu'au 12 août 2022. Toutefois, par une décision du 7 septembre 2022, le département a refusé de renouveler cette prise en charge. Mme B... relève appel de l'ordonnance du 6 octobre 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande, présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à ce que l'exécution de cette décision soit suspendue et à ce qu'il soit enjoint au département de réexaminer sa demande de renouvellement de contrat de jeune majeur et de lui assurer une solution d'hébergement et une prise en charge adaptée à son état de santé dans un délai de 24 heures, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
3. Aux termes de l'article L. 222-5 code de l'action sociale et des familles : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) 5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants, lorsqu'ils ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance avant leur majorité, y compris lorsqu'ils ne bénéficient plus d'aucune prise en charge par l'aide sociale à l'enfance au moment de la décision mentionnée au premier alinéa du présent article./ Peuvent être également pris en charge à titre temporaire, par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance, les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants./Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés au 5° et à l'avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée ".
Sur l'urgence :
4. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre.
5. Il résulte de l'instruction que Mme B..., aujourd'hui âgée de 19 ans, suivie au centre médico-psychologique de Thiais et enceinte de cinq mois, est dépourvue de soutiens familiaux en France, sans ressources, actuellement sans domicile fixe et logée de manière ponctuelle et précaire à l'hôtel par les services du service intégré de l'accueil et de l'orientation du Val de Marne. Dans ces conditions, au regard de l'extrême vulnérabilité de Mme B..., et alors même que le département fait valoir que la Fondation Rotschild à Chevilly-Larue où elle était hébergée a déclaré ne plus pouvoir la prendre en charge en raison de son comportement et du caractère inadapté de cet hébergement à sa personnalité et qu'elle aurait refusé une proposition d'accueil dans une maison d'accueil prénatal, la condition d'urgence doit, en l'état de l'instruction, être regardée comme remplie.
Sur l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
6. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles que, depuis l'entrée en vigueur du I de l'article 10 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants dont elles sont issues, les jeunes majeurs de moins de vingt et un an ayant été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un département avant leur majorité bénéficient d'un droit à une nouvelle prise en charge à titre temporaire par ce service, lorsqu'ils ne disposent pas de ressources ou d'un soutien familial suffisant. Le département de l'Essonne qui, ainsi qu'il a été dit, a pris en charge Mme B... au titre de l'aide sociale à l'enfance jusqu'à sa majorité, est, dès lors qu'il est constant qu'elle ne bénéficie d'aucun soutien familial ni d'aucune ressource ni d'aucune solution d'hébergement présentant le minimum de stabilité que nécessite son état de grossesse, légalement tenu de poursuivre cette prise en charge. Si le département fait valoir que les services du département du Val de Marne seraient disposés à prendre en charge Mme B..., il n'établit pas, à la date de la présente ordonnance, que ceux-ci auraient proposé à Mme B... une prise en charge effective. Par suite, Mme B... est fondée à soutenir que la décision du département de l'Essonne de cesser sa prise en charge au titre des dispositions du 5° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles porte, en l'état de l'instruction, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et qu'il y a lieu d'en suspendre l'exécution.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. Il y a lieu d'enjoindre au département de l'Essonne de procéder au réexamen de la demande de renouvellement du contrat de jeune majeur de Mme B... dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance et de lui procurer, dans un délai de 48 heures, une solution d'hébergement et une prise en charge de ses besoins alimentaires, sanitaires et médicaux, sauf à ce que cette prise en charge soit effectivement assurée par le département du Val-de-Marne. La présente ordonnance n'implique pas, en revanche, qu'il soit enjoint au département d'introduire une demande de prestation auprès de la maison départementale des personnes handicapées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. D'une part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de l'Essonne, au titre de l'instance d'appel, le versement à Mme B... d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. D'autre part, Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire devant le tribunal administratif. Par suite, son avocate peut se prévaloir des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Singh, avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge du département de l'Essonne une somme de 1 500 euros à verser à Me Singh au titre de la procédure devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles du 6 octobre 2022 est annulée.
Article 2 : L'exécution de la décision du président du conseil départemental de l'Essonne du 7 septembre 2022 est suspendue.
Article 3 : Il est enjoint au département de l'Essonne de procéder au réexamen de la demande de renouvellement du contrat de jeune majeur de Mme B... dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance et de lui procurer, dans un délai de 48 heures, une solution d'hébergement et une prise en charge de ses besoins alimentaires, sanitaires et médicaux, sauf à ce que cette prise en charge soit effectivement assurée par le département du Val-de-Marne.
Article 4 : Le département versera une somme de 1 500 euros à Mme B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 1 500 euros à Me Singh, en application des mêmes dispositions et de celles du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la demande de Mme B... est rejeté.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C... B... et au conseil départemental de l'Essonne.
Fait à Paris, le 15 novembre 2022
Signé : Gilles Pellissier